Première ascension en autonomie : Le Pic Panfilova

Nous avons après quelques péripéties réussi à nous hisser au sommet d'une montagne de 4257m, le Pic Panfilova.

Première tentative infructueuse

Nous avons sélectionné le Pic Panfilova car, sur Camp to camp, il était listé F (pour "Facile") et d'engagement I (nous reviendrons là dessus). Nous partions dans l'espoir de pouvoir faire l'ascension le lendemain de notre arrivée dans le Parc, le premier jour étant réservé à la marche jusqu'au refuge, lui aussi signalé sur Camp to Camp. Nous avons eu du mal à nous procurer la carte, mais après trois jours d'errance dans Bishkek nous trouvons le magasin qui les vend grâce aux indications d'un couple danois résidant à l'auberge où nous dormons.

La journée commence tôt et mal, le taxi arrive en retard. Après des tergiversations sans fins sur le prix de la course (il exige plus que convenu car il a dû entrer dans le parc), nous nous mettons à la recherche du pont qui enjambe le torrent de fonte qui parcourt la vallée. Ne le trouvant pas même après avoir demandé en Allemand de l'aide à des Coréens, nous posons nos sacs et partons à sa recherche sans chargement.

obstacle
On franchit la structure qui, au milieu, vibre franchement.

A 11 heures, nous trouvons enfin le pont et y amenons péniblement nos sacs, bien trop lourds pour notre peu d'entraînement (nous portons entre une quarantaine et une cinquantaine de kilos à nous deux). Nous franchissons lentement et le plus sûrement possible l'obstacle et attaquons enfin la montée vers le refuge.

cimetiere
La grille du cimetière.

Après midi, nous cassons la croûte au cimetière. Il s'agit d'un cimetière d'alpinistes. Loin d'être morbide, l'endroit est, en un sens, plaisant. Ombragé par des arbres laissés là où ils ont poussés, il est parsemé parfois de tombes, parfois juste de monuments lorsque les corps n'ont pu être descendus. Il y a là parfois des cordées entières, parfois des alpinistes isolés. Jeunes et vieux, mais les jeunes sont très jeunes. On se promet de ne pas finir avec eux et on reprend la marche.

Le temps passe et les kilomètres ne défilent pas assez vite. La vallée, orientée à l'Ouest au début, tourne doucement mais régulièrement vers le Nord, ce qui fait que l'on n'en voit jamais le fond, et que chaque combe et chaque ressaut cache le suivant, ce qui ne nous permet pas facilement de juger de notre progression. Porter les sacs est depuis longtemps franchement douloureux et nous avons hâte d'arriver.

Zoulies Montagnes
Au retour, le parc nous offre un zouli paysage pour nous consoler.

Enfin, à 19h, après que le temps s'est gâté, nous trouvons une tente et en dérangeons les occupants. Par chance le kirghize qui en émerge parle Anglais. Il nous indique notre position sur la carte, position que dans notre optimisme et à cause de l'échelle (seulement 1:50 000 tandis que les cartes IGN sont au 1:25 000) nous (surtout moi) estimions bien plus proche du fond de vallée. Le refuge existe-t-il ? Lui, contrairement à ceux à qui l'on a posé la question tout en bas, en a entendu parlé. Il n'y est jamais allé mais a entendu dire que du point où nous sommes il y a encore six heures de marche. Nous sommes plein de doute (spoilers : il a raison, il faut au moins 3 heures sans chargement), mais ne voulant risquer le coup, ayant laissé la tente à Bichkek pour alléger les sacs, nous faisons demi-tour et courrons (c'est une hyperbole, nous marchons juste moins lentement qu'à la montée) contre la nuit, réussissant partiellement. Un peu en haut du cimetière, nous allumons nos frontales et parcourons les 300 derniers mètres (verticalement, s'entend) dans le noir. On retrouve le pont, le franchissement nocturne étant encore moins plaisant que le premier passage, et on s'écroule dans une des cabanes/tentes de la vallée en avalant un repas rapide.

Deuxième tentative, un cheval à tête de mule

Le lendemain, nous transferons nos pénates dans une yourte, et projetons une nouvelle expédition, mais à cheval. Nous passons la journée à nous recharger en nourriture (j'ai abandonné les conserves en haut dans une cache très mal cachée), et à chercher Dragomir, le mystérieux propriétaire de chevaux susceptible de nous aider à monter notre barda.

Ne parlant pas Russe, c'est à l'aide d'un dessin digne d'une partie de pictionary pour grands brûlés de la paume que je demande s'il est possible de louer un cheval pour porter les sacs. Au magasin du coin, je montre mon oeuvre à l'ado qui tient la boutique, il se marre, appelle son frère qui se marre aussi et me demande dans un anglais correct "So you want to rent a horse ?". Un peu vexant mais pour la suite ça s'avère pratique, puisqu'on dormira dans sa yourte et mangera les repas chauds dans ce magasin.

Un aller retour éclair à Bichkek nous permet de placer espoir dans une ascension le lendemain, à pied pour nous mais les sacs sur le cheval du magasin (on n'a jamais trouvé Dragomir).

Un départ à 7 heures nous permet de découvrir le vrai pont (on se demandait comment le cheval allait passer le truc rouillé qui nous avait permis de franchir le torrent l'avant veille) et nous plaçons bon espoir dans cette tentative. Il nous faut déchanter rapidement. Le chemin que Nursultan (c'est le nom de notre guide, l'ado anglophone du magasin, il est par ailleurs judoka et apparement pas trop mal classé aux championnats du monde junior avant une blessure au poignet) se propose de prendre n'existe plus, le torrent l'a fait s'affaisser. Le cheval, pas fou, refuse de poursuivre sur la berge en pente.

On prend donc ce qui est pour nous la voie normale, celle qui s'éloigne du torrent et monte vers le cimetière, mais là encore nous nous heurtons à la réalité, le cheval ne veut pas monter le chemin trop raide, et les alternatives sont trop boisées. Après avoir déchiré la couverture anti pluie de mon sac et bloqué la selle sous une branche basse, nous arrêtons les frais, faisons tant bien que mal faire demi tour au cheval, et redescendons pour la seconde fois en, pour couronner le tout, portant nos sacs.

Un tout petit peu énervés, nous nous offrons quelques jours de repos à Bichkek, où nous mettons sur pied un suprême assaut

La troisième fois sera la bonne !

Préparatifs

panfilova
Notre objectif, le Pic Panfilova, est l'amas rocheux enneigé sur la droite.

Nous allégeons nos sac au maximum : une seule bouteille d'eau pour deux (puisque nous ne nous éloignons jamais trop du torrent), nourriture lyophilisée plutôt que des conserves, une paire de chaussette en moins, seulement deux bouteilles de gaz, tout cela ne change au final pas grand chose. Une discussion sur un forum d'alpinisme nous rassure et nous inquiète à la fois : 20kg par sac, c'est un minimum. C'est rassurant car cela nous indique que l'on ne fait pas n'importe quoi et que l'on a pas loupé un épisode, c'est inquiétant, car il va nous falloir trimbaler ce poids jusqu'au pied du pic.

Nous faisons nos sacs complètement la veille, et dès 7h30 nous roulons vers le Parc. Déposés en face du vrai pont, l'aventure peut (enfin) commencer.

L'approche

Nous montons à un rythme raisonnable et notre première pause a lieu au cimetière avec plus de trois heures d'avance sur notre première tentative, et que nous n'avions même pas atteint lors de la deuxième. Nous enchaînons à un bon rythme, mangeons près du torrent et après avoir passé la zone de parcage des chevaux où nous retrouvons nos copains les poulains (comme quoi, elles peuvent monter jusqu'ici si elles veulent, ces sales bêtes ;) qui sont plus curieux que leurs parents, nous arrivons à l'endroit où nous avions dû faire demi tour.

Comme la montagne nous salue d'une averse grêle, nous montons la tente top moumoute testée et approuvée par Jean Louis Etienne dans les caves du vieux campeur. Elle a pour particularité de se monter de l'intérieur, et donc à l'abri. Mais pour ne pas mouiller toute la chambre il faut enlever ses habits mouillés donc on monte la tente à l'abri mais en slip.

Une fois Taranis calmé, je pousse une reconnaissance derrière le ressaut (j'aurais plutôt appelé ça muraille) qui se dresse devant nous, espérant découvrir le cirque glaciaire au sein duquel s'élève le Panfilova. Manque de pot c'est un deuxième ressaut qui nous attend derrière celui-là.

Le lendemain, nous franchissons le premier obstacle, posons nos sacs au pied du second et malgré les nuages qui apparaissent montons déchargés pour voir s'il est possible d'atteindre le refuge. Nous trouvons un lieu de camp baptisé camp Elektro sur Camp to Camp et prévoyons de nous y établir si le refuge est fermé. A peine montés sur le plateau juste au dessus, le vent change de direction et les nuages redescendent sur nous. Nous ne nous sommes éloignés du camp Elektro que d'une cinquantaine de mètres, mais entre le brouillard soudain et l'orage de grèle, nous nous perdons dans une zone plus petite qu'un terrain de foot. Descendant une pente pourrie prudemment, et suivant un goulot, nous parvenons à rejoindre le camp Elektro et de là à redescendre vers la tente que nous montons à nouveau au sec et en slip.

Nous sommes dérangés une fois l'orage calmé par un militaire kirghize qui nous demande en Russe "kartié". Nous pensons d'abord qu'il veut contrôler que nous avons bien payé nos droits d'entrée dans le parc, mais en réalité il veut juste la carte. Il est le plus rapide d'une expédition de 25 gusses partis drainer un lac de fonte (on se rendra compte du sommet que le débordement de ce lac menacerait les cabanes). On sympathise avec eux, leur indique la route du mieux que l'on peut, puisque les cabanes et le lac nous sont à ce moment là toujours inconnus. Ils veulent nous prendre la carte mais l'on refuse, et finalement ils repartent s'installer au camp Elektro, non sans nous avoir donné le badge de leur unité et avoir fait la photo souvenir.

Le lendemain je pars de bonne heure enfin reconnaître les cabanes. Au camp, les militaires sont déjà en train de plier bagage et m'indiquent la route, ils ont trouvé ce qu'ils cherchaient. Les cabanes sont fermées, mais avec un clin d'oeil l'un m'indique que si j'arrive à me glisser dedans personne n'en saura rien. A 9 heures j'arrive aux cabanes, effectivement désertes et closes. Heureusement qu'on ne comptait pas dessus. Les portes et serrures sont de bonnes qualité. En cas de très grave tempête quelques coups de piolet devraient les ouvrir, mais impossible d'en profiter sans faire de dégâts. Je repars donc et arrive à la tente peu après que les derniers militaires sur le chemin du retour aient fini de parler avec Loulou.

Sur le chemin retour, j'ai reconnu le début du glacier. Le camp Elektro étant bien plus proche de celui ci que les cabanes, nous y déplaçons notre camp à toute vitesse pour ne pas se faire doubler par quatre marcheurs que nous apercevons en bas. Quitte à dormir sur des cailloux, autant dormir sur le seul emplacement constitué de petits cailloux. Précipitation inutile, les quatre marcheurs sont quatre médecins russes extrêmement sympathiques qui ne dormiront pas là, ils poursuivent sur un circuit de neuf jours qui leur fait faire le tour de tout le parc.

Nous refusons leur invitation à boire le thé pour aller reconnaître le début du glacier avant l'averse de grêle qui semble arriver tous les après midi. Le beau temps se maintient cependant et c'est heureux car il nous faut près de deux heures dans un pierrier torturé pour enfin toucher la glace.

L'assaut et la victoire

Fort de ces informations, lever à 3h30 sous un ciel sans nuages. Le thé chauffe et au moment de se servir ce qui n'a pu rentrer dans les thermos, notre dernière bouteille de gaz livre la dernière partie de son précieux fluide. Il nous faut arriver au sommet aujourd'hui ou jamais. La perspective de faire tout la redescente sur des twix et des kit kats n'est vraiment pas entraînante, mais nous n'y pensons pas car nous avons les yeux tournés vers le haut. C'est une métaphore foireuse car en réalité, dans la pénombre, il sont bien rivés vers le sol pour éviter de se faire mal sur ce terrain assez traître. Le jour se lève derrière nous tandis que nous mettons un quart d'heure de plus que la veille pour parvenir au glacier. Les lourdes chaussures d'alpinisme n'aident pas à la progression.

Le temps de s'équiper et il est 7h30 quand nous plongeons enfin nos crampons pour la première fois dans la neige. Il nous a fallu tant d'efforts inutiles pour parvenir jusque là que je me dis que même si l'on ne parvient pas au sommet, le fait seul d'évoluer sur le glacier vaut son pesant de cacahuètes. Il ne faut pas traîner car nous avons convenu de faire demi tour vers 10h30, 11h00 au plus tard. Nous n'oublierons pas cette recommendation car la veille nous avons vu l'état du glacier l'après midi et nous ne voulons surtout pas être dessus quand il fond tellement qu'il ruisselle sur toute sa surface visible.

rimaie
Une des deux rimaies que l'on voyait d'en bas.

Passé le premier ressaut, nous voyons le glacier dans sa quasi intégralité. Impossible de suivre le topo guide qui nous exhortait à attaquer par le milieu : une avalanche a coulé à cet endroit là (note pour plus tard : n'accorder qu'une confiance relative aux indications de Camp to Camp et apprendre à reconnaître les couloirs d'avalanche). Nous trouvons un passage entre deux rimaies qui a l'air pratiquable sur la droite. Il nous est impossible de voir la fin du parcours puisque le sommet est caché, mais ce chemin nous permettra de contourner les principales difficultés.

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Le pic sommital, à côté duquel nous sommes sagement restés.

La marche se passe sans difficultés notables, la montée jusqu'à la rimaie est longue, et avec la réverbération il faut très chaud. Le chocolat en fond dans le sac. Le temps presse aussi, bien que nous ne traînions pas nous avons encore un doute sur le sommet. Enfin, après le passage étroit presque plat entre les deux rimaies, nous voyons apparaître le sommet, un amas de pierres pourries entouré d'une douve remplie de neige fondue. Nous nous dirigeons sur un amas rocheux où Loulou fait remarquer que ça fait longtemps que l'on a pas mangé de steak. On se promet d'aller se faire un tartare lors de notre prochain passage à Paris. Je pondère mes chances de survie si je monte jusqu'au sommet, mais je me rend compte que bien qu'il soit très possible que j'y arrive sans encombre, je n'arriverai sans doute pas à en redescendre de même. Du coup je choisis de rester vivant et l'on boit notre thé à 4254m d'altitude au lieu des 4257m officiels.

sommet
Le selfie sommet de rigueur.

La redescente s'effectue promptement, puisqu'ayant atteint le sommet à 10h40, nous n'avons pas une marge phénoménale pour sortir du glacier avant qu'il ne se transforme en piscine. Nous marchons d'un bon pas, presque sans nous arrêter. Nous sortons un peu plus haut que notre point d'entrée, et après une longue pause bien méritée retournons au camp par le pierrier de la mort qui tue les jambes.

Fourbus, nous renonçons à descendre le soir même et nous couchons tôt. Le lendemain la redescente se fait suffisamment tôt pour arriver tout en bas peu après midi, ce qui nous permet de prendre un repas chaud au magasin. Nous n'arriverons cependant pas à battre la pluie de vitesse, et le mauvais temps reprend ses droits sur la montagne avant que nous n'ayons eu le temps de l'évacuer.

Conclusions

Nous avions clairement sous estimé la difficulté d'accès des glaciers kirghizes et la pénibilité de la marche d'approche. Nous n'en sommes que plus déterminés à profiter en France du formidable réseau de routes, remontées mécaniques et refuges et parcs (gratuits !) qui rendent la montagne si accessible et sûre.

Nous avons cependant pu profiter de deux jours de temps magnifique, ce qui nous a permis de réaliser notre ascension sans grands dangers (ou du moins sans dangers que nous ayons remarqués). Il faut cependant changer l'engagement pour cette course de I à III, tant il est clair que la vallée est déserte, méconnue et les secours mal équipés, voire inexistants.

Nous sommes très heureux de ce premier sommet en autonomie, et espérons que nous parviendrons à en ajouter quelques autres à la liste avant de quitter le Kirghizstan.


Panfilova